La lutte des paysans pauvres d'Ouzioua au Maroc pour le droit aux biens publics,,,,,



L’arganier couvre des centaines de milliers d’hectares au Maroc. Il est en train de disparaître au profit des cultures de primeurs et d’agrumes pour l’exportation. Les paysans du Souss Massa Drâa, tout aussi menacés que l’arganier, se battent pour leur survie. Lisez ce dossier pour en savoir plus !

À lire

  • Sit-in le 14 novembre à Ouzioua
  • La lutte des paysans pauvres d'Ouzioua au Maroc pour le droit aux biens publics, par Amal Lahoucine, Taroudant, novembre 2006
  • « Je suis prêt à militer jusqu'à la mort pour les biens publics » : Entretien avec le paysan pauvre militant Hassan Id Abdallah (village de Tasdermte, province de Taroudant, région du Souss Massa Drâa, Maroc) - Propos recueillis par Amal Lahoucine, novembre 2006
  • Reportage sur le sit-in du 14 novembre à Ouzioua
    par Amal Lahoucine, 14 novembre 2006
  • La lutte des ouvriers et ouvrières agricoles et agro-industriels d’ Ouled Teima par Amal Lahoucine, 17 novembre 2006
Sit-in le 14 novembre à Ouzioua
Sit-in le 14 novembre à Ouzioua
La société civile d'Ouzioua organise un sit-in mardi 14 novembre 2006 de 10 h à 12 h devant le siège de la commune d'Ouzioua. Cette manifestation a pour but de protester contre la poursuite des cinq militants des associations de paysans pauvres devant leTribunal de première instance de Taroudant le. Fixée au 28 septembre 2006, l'audience a été reportée successivement au 2 novembre 2006 puis au 7 décembre 2006. Les militants sont poursuivis pour leur participation à la marche rouge des paysans pauvres organisée par la société civile d'Ouzioua le 7 mai 2006, pour défendre les biens publics autour du barrage Moukhtar Soussi.
À ce jour, les autorités n'ont toujours pas engagé de discussions responsables avec les associations pour resoudre le problème de l'électrification, de l'eau potable, de l'eau d'irrigation et des indemnisations pour les terres perdues.
Pour cela les associations suivantes organisent un sit-in de protestation ce matin devant le siège de la commune d'Ouzioua :
Syndicat des paysans, Association Ifghelen, Association Atlas, Association Taghtate, Association Assoul, Association Moukhtar Soussi, Association Ibrguenaten, Association Tabiat, Association Asgoun.
Elles sont soutenues par le Front de défense des biens publics et des droits fondamentaux à Taroudant, constitué par : Parti de l'avant garde démocratique et socialiste, Mouvement de la voie démocratique, Parti du congrès de l'union, Parti progressiste et socialiste, Association marocaine des droits humains, Union marocaine du travail, Conféderation démocratique du travail.

La lutte des paysans pauvres d'Ouzioua au Maroc pour le droit aux biens publics

Par Amal Lahoucine, Taroudant, novembre 2006

La marche rouge du 7 mai 2006 des paysans pauvres d’Ouzioua pour leurs droits à l’électrification,à  l’eau potable, à l’eau d’irrigation et à l’exploitation des ressources naturelles autour du barrage Mokhtar Soussi a été suivie d’une répression judiciaire.
Comme son habitude, le régime marocain poursuit les militants de la société civile d' Ouzioua devant le tribunal de première instance à Taroudant. La première audience du 28 septembre 2006 a été  reportée une première fois au 2 novembre 2006 puis une deuxième fois au 7 décembre 2006.
Les cinq militants poursuivis sont :

- Aakik Driss, secrétaire général du syndicat des paysans pauvres.
- Amal Lahoucine, président de l’association Ifghelen.
- Chkib Boubker, vice président de l’association Atlas.
- Bouichou Mohamed, membre du conseil de la commune d’Ouzioua.
- Id bouichou Mohamed, paysan pauvre membre de l’association Atlas.
Les paysans pauvres continuent leur lutte.
Voici l’arrière-fond de cette lutte.
  

1- Vue générale sur la vallée du Souss 

La rivière Souss constitue le cœur battant de la vallée située entre le Haut-Atlas et l’anti-Atlas au sud du Maroc. La rivière est d’une superficie de 3960 Km2.
La province de Taroudant (Aoulouz, Ouled Berhil et Taroudant) occupe 740 000 hectares. Les ressources forestières occupent 580 000 ha, et 200 000 ha de la superficie générale disponible à l’agriculture dont 100 000 ha irrigués par pompage.
La nappe phréatique est d’une valeur de 50 milliards de mètres cubes dont 8 milliards mètres cubes disponibles à l’exploitation par pompage.
Une démographie très importante de 90 personnes par km2 et 60 personnes par km2 à la campagne (la province de Taroudant compte 800 000 habitants).
Les ressources qu’offre l’environnement de la vallée du Souss donnent une idée pour le développement agricole de cette rivière. Mais le système d’irrigation par pompage d’une agriculture des agrumes basée sur l’exportation vers l’Europe depuis les années quarante du vingtième siècle et l’accélération de ce système vers un surpompage pendant les années soixante, provoquent les déséquilibres sociaux au niveau de l’exploitation des ressources naturelles de la vallée.

Le tableau suivant montre l’évolution de la culture d’agrumes dans la vallée :
Année
1940
1950
1955
1960
1976
Agrumes en hectare
100
2200
5300
10600
19000

Aujourd’hui, les agrumes occupent 12 000 hectares dans la région Ouled Behgil-Aoulouz seulement depuis l'an 2000.

2- Nécessité de la protection de la forêt d’arganiers 
L’arganier a de multiples utilisations qui sont autant de sources de revenu :
- l’alimentation du cheptel (bovins, caprins et camelins), le bois utilisé en menuiserie, en cuisine traditionnelle (fours) et en chauffages et l’huile, à double usage, alimentaire et cosmétique.
La fabrication de l’huile est réalisée par les femmes, entièrement manuellement, depuis la collecte, le concassage des fruits, le grillage et le broyage des amandes jusqu’au malaxage de la pâte dans un moulin en pierre.
- La fabrication d’un litre d’huile par une femme demande au moins 16 heures, ce qui montre l’exploitation de la femme paysanne pour un revenu de 50 dirhams.
- Les forêts d’arganier couvrent 400 000 ha dans la région  de Taroudant, soit 56 % de l’arganeraie nationale. Elles occupent    74 % de la superficie forestière totale de la province
- Taroudant produit 1830 tonnes d’huile d’argane par an, soit 53% de la production nationale.
- Le revenu brut procuré par l’arganier est de 1,8 milliards de dh/an, soit 430 dh/ha/an, correspondant à plus de 2,2 millions de journées de travail.
- Le classement de l’arganeraie en « réserve de la biosphère », la réorganisation de la recherche sur l’arganeraie et ses produits et l’utilisation des moyens modernes peuvent faire de l’arganeraie l’axe essentiel du développement à Taroudant.
- La destruction de la forêt d’arganiers dans la plaine du Souss par l’implantation des agrumes et le surpompage d’une part et la malproduction de ses ressources par les paysans dans la montagne d’autre part provoque la dégradation du développement de la vallée.
(Lire à ce sujet
·          Arganier [Histoire d’une destruction] http://sd606.sivit.org/asays/article.php3?id_article=485
·          L'arganeraie marocaine se meurt : problématique et bio-indication
par Michel R. Tarrier  et Mohamed Benzyane http://www.secheresse.info/article.php3?id_article=228)

3- La situation des paysans pauvres à Ouzioua 

Les deux barrages Aoulouz (http://www.water.gov.ma/02patrimoine/fiches-barrages/020.htm) et Mokhtar Soussi (http://www.water.gov.ma/02patrimoine/fiches-barrages/068.htm) sont construits dans la région d’Aouzioua, dans l’ l’Est de la province de Taroudant 
Conséqeunces  de la construction des barrages :
Les paysans pauvres vivent dans des conditions catastrophiques, après avoir perdu leurs terres et leurs ressources naturelles contre des indemnisations très faibles (trois dirhams seulement le mètre carré de terre irriguée et deux dirhams le mètre de terre bour (uniquement arrosée par la pluie) non-irriguée).
- 50% habitent dans la zone près du barrage, 10 douars de la commune Tisrass au barrage Aoulouz et sept douars de la commune Ouzioua au barrage Mokhtar Soussi, ils vivent dans les conditions très difficiles.
- 15% habitent dans la commune d’Aoulouz.
- 35% ont quitté la région vers Ouled Berhil et Taroudant.

4- Conséquences de cette situation 

La construction de ces deux barrages a eu des effets néfastes sur le développement de la région en général, et en particulier sur la vie des paysans pauvres.

La politique agricole de l’État marocain dans la vallée du Souss depuis les années quarante du vingtième siècle qui tend vers l’accélération de l’exploitation de la nappe phréatique par le surpompage a créé dans certaines régions (El Guerdain dans la région de Ouled Teima) une situation catastrophique, ce qui explique la décision de l’État d’implanter plus de 12 000 ha d’agrumes dans la région d’Aoulouz et Ouled Berhil.
Les études faites par des spécialistes de PNUD et de la FAO pendant les années 1970 envisageaient le drame que vit la région d’Aoulouz aujourd’hui et le rôle des deux barrages pour améliorer l’irrigation dans la vallée.
La vie des paysans dans la vallée du Souss et dans les deux barrages en particulier est en dégradation.
L’exploitation qu’ils subissent dans les fermes d’agrumes après la perte de leurs terres et leur transformation en ouvriers agricoles dans des conditions juridiques dignes du Moyen âge.
La double exploitation de la femme au travail (bas prix, sexe) et au sein de sa famille (travail sans salaire).
La couverture sanitaire reste faible, 15% couvre par mode fixe, 43% couvre par l’itinérance, 42% par équipe mobile.
La dégradation de la santé de la population et donc l’augmentation de la morbidité et mortalité materno-infantile.
En effet la prévention reste l’arme la plus efficace pour améliorer l’état de la santé de la population rurale.
De jour en jour les paysans pauvres perdent la terre, l’eau, et l’arganier, et leur culture amazight (berbère) va vers une marginalisation absolue.

5- Problème de l’électrification et de l’eau potable 

Malgré les ressources naturelles très importantes de la région d'Ouzioua et les dons de l’Agence française du développement, 35 douars de la commune d'Ouzioua sont dépourvus d’électricité et d’eau potable. L’État marocain oblige trois douars qui ont perdu leurs terres à cause du barrage Mokhtar Soussi de payer 4900 dirhams par maison pour être branchés au réseau électrique national, sachant que la commune rurale avait payé un montant très important en coopération avec le bureau national de l’électricité depuis 2001, et que le ministère de l’Équipement avait déjà financé le branchement électrique au barrage Mokhtar Soussi.
Les habitants de sept douars qui ont perdu leurs maisons  après la construction du barrage sont dépourvus d’électricité et d’eau potable depuis 2001, cela malgré le financement du projet de réhabilitation des paysans pauvres par l’État, qui a alloué un fond de 215 millions de centimes à l'électrification et à l’approvisionnement en eau potable.
L’Agence de l'eau de Souss Massat n'hésite pas à piétiner le droit naturel des paysans pauvres à l’eau d'irrigation provenant du barrage en faisant stopper l'écoulement naturel de l'eau,  pour réserver l'eau aux fermes des grands propriétaires.
En 2003 les paysans pauvres ont perdu plus de 1200 oliviers à cause de l'arrêt total de l'eau du barrage. L'Agence de l'eau de Souss Massat est intervenue pour mettre en place des  « associations de l'eau »  contrôlées par le président de la commune, pour accepter un débit de 100 litres par seconde, ce qui va encore multiplier les dégâts dans les champs des paysans pauvres.   

6 - Intervention des paysans pauvres 

Pour défendre leurs droits, les paysans pauvres ont constitué des associations de développement. Ils ont contacté tous les responsables locaux, régionaux et nationaux sans recevoir aucune réponse positive à leurs problèmes.
Le 7 mai 2006, la société civile à Ouzioua avait organisé une marche pacifique du barrage au siège de la commune rurale. Le régime marocain, pour sa part, au lieu d’ouvrir des négociations avec les responsables des associations et de sanctionner les vrais responsables de ces problèmes, décide de poursuivre 5 responsables de ces associations devant le tribunal de première instance de Taroudant.

Les paysans pauvres ont contacté les responsables nationaux des partis politiques de la gauche, la CDT, l'UMT et l'AMDH ; une commission a déposé le dossier sur les problèmes des paysans pauvres d'Ouzioua auprès de ces organisations. En attendant une réponse à leur demande de soutien, une rencontre entre cette commission et le Front de défense des biens publics et des droits fondamentaux à Taroudant, constitué par Annahj addimocrati, PADS, PCU, PPS, AMDH, UMT et CDT, a été organisée après l'audience du 2 novembre 2006 au siège de la CDT. Le but de cette rencontre est de soutenir le sit-in des paysans pauvres qui va être organisé le 14 novembre 2006 et tracer un programme de soutien aux luttes des paysans pauvres d'Ouzioua.

Notes

·      Située au nord-ouest de la région du Souss Massa Drâa, dans le sud du Maroc (chef-lieu : Agadir), la province de Taroudant couvre 16 500 km2 et compte 800 000 habitants, vivant dans 7 communes urbaines et 82 communes rurales.

·   Voici comment le Conseil régional du Souss Massa Drâa présente l’agriculture de la région

UNE PRODUCTION VITAMINÉE

Une des activités fondamentales de la région est l’agriculture. Elle est souvent associée à l’élevage intensif ou extensif en nomadisme. Toutes espèces confondues (camelins, bovins, caprins et vins), la totalité des troupeaux est estimée à 2 605 400 têtes, sans oublier les 4 millions de volailles.

L’agriculture génère un PIB de 4 milliards de dirhams
 (12 % du PIB régional) et emploie 150 000 personnes (16 % des emplois). La superfi cie agricole utile approche les 561 000 hectares dont 190 000 hectares irrigués.

Le Souss Massa est la 1re zone primeuriste du Maroc, maraîchage en tête avec 685 000 tonnes produites dont 95 % des exportations nationales de tomates. Vient ensuite l’agrumiculture, qui couvre près de 30 000 hectares et produit 666 000 tonnes, dont 50 % des exportations nationales d’oranges.
Quant aux vallées de Dadès et du Drâa, elles pratiquent plutôt les cultures vivrières (céréales, fourrage), la culture des arbres fruitiers (les 185 00 hectares de palmiers dattiers donnent 21 000 tonnes soit 63 % de la production nationale) et les cultures spécialisées comme le henné, le safran et les rosiers de parfumerie.

DEVENIR L’UNE DES RÉGIONS LES PLUS DYNAMIQUES DU MONDE DANS LE SECTEUR DE L’AGRICULTURE

À horizon 2015, imposer la région comme un des centres agricoles les plus dynamiques au monde, en commençant par gagner une place dans le trio de tête du marché européen. Il faut pour cela se focaliser sur les cultures porteuses et diversifier les activités vers le secondaire (industrie agroalimentaire) et le tertiaire (agrotech).
Pour la partie extensive, conduire 50 % des petits agriculteurs pratiquant une agriculture traditionnelle vers des niches de croissance plus modernes et prometteuses.
Pour l’ensemble, veiller au développement durable et à la pérennité de cette activité en rétablissant un équilibre entre la consommation d’eau et les sources  hydriques, renouvelables ou non.


Sans commentaires, n’est-ce pas ?

« Je suis prêt à militer jusqu'à la mort pour les biens publics » : Entretien avec le paysan pauvre militant Hassan Id Abdallah (village de Tasdermte, province de Taroudant, région du Souss Massa Drâa, Maroc)
Propos recueillis par Amal Lahoucine, novembre 2006

Hassan Id Abdallah est un paysan pauvre militant. Il habitait au douar Tasdermte (mot amazigh signifiant Porte), situé à l’entrée de la vallée d'Ouzioua. Il est parmi les fondateurs de l'association Ifghelen (signifiant espace réservé aux troupeaux du village) constituée en 1997. Ifghelen est aussi le nom de l’endroit où le barrage Aoulouz est construit. Hassan est aussi membre fondateur du syndicat des paysans pauvres d'Aoulouz. Il vit aujourd'hui  dans le nouveau village, Tisrass, créé après la destruction de Tasdermte, où il s’est installé avec sa famille, après l'évacuation par le barrage. Dans son ancien village, la famille Id Abdallah avait une belle maison située au pied d'une montagne dominant la vallée d'Ouzioua. Aujourd'hui, seuls demeurent les souvenirs de cette ancienne et belle Tasdermte.

Voici ce que m’a déclaré Hassan.
Il nous parle tout d’abord de sa maison dans l'ancienne Tasdermte.

« Je suis prêt à militer jusqu'à la mort pour les biens publics d'Ouzioua malgré ma maladie qui m'oblige à être hospitalisé à l'hôpital Mokhtar Soussi à Taroudant depuis mercredi dernier.
Tasdermte, mon village natal, fait désormais partie du passé passé, mais son souvenir ne peut pas me quitter, je me rappelle tous les détails, comme si c’était aujourd'hui. Notre belle maison au pied de la montagne, à la porte de la vallée d'Ouzioua Tasdermte (qui signifié aussi, la place et le rôle social d'un homme dans la société) au bord de la rivière d'Ouzioua, qui coule sans arrêt pendant les quatre saisons. Notre nouvelle maison, dont les travaux se sont terminés en 1986, a une superficie de 360 mètres carrés, elle est construite en pierres et béton, elle est constituée de deux étages et comprend 12 pièces avec cuisine traditionnelle, toilettes et cour plus un espace  pour nos animaux. Le remboursement de tous ces biens plus 70 arbres fruitiers divers est de 7777 Euro. 

Au moment de l'évacuation obligatoire, J'avais refusé de quitter notre maison sans ouvrir un dossier juridique pour justifier de la valeur exacte d'un remboursement légal. C’était la seule maison qui restait debout à Tasdermte face au bulldozer qui avait tous détruit dans notre village. Les champs et récoltes avaient été rasés par ce bulldozer, pour détruire les traces du vol commis au moment du recensement des biens des paysans pauvres. J'avais envoyé des lettres de protestation aux responsables locaux et nationaux en demandant une expertise de nos biens. Un expert de la province était enfin arrivé, pour faire son travail. Cela se passait  dans les années de plombe, c'était en 1988.  
Mais rien n'a été réglé.  Tout le fruit de mes activités agricoles à Tasdermte et de celles de mon frère, ouvrier émigré en France depuis les années soixante, a été perdu, massacré pour bâtir le capitalisme. »


Puis Hassan nous parle des inondations au moment du recensement des terres des paysans évacués.

« La deuxième chose qui reste choquante dans ma mémoire est le rasage des terres près de la rivière par les inondations de 1987, avant le recensement de nos champs. La rivière avait rasé une quantité importante des champs des paysans pauvres, sans aucun secours de la part du régime marocain. Ce qui est important à signaler ici, c’est que la carte topographique qui va être utilisée pour le recensement des champs avait été déjà faite avant les inondations. La question que posaient les paysans pauvres était : ‘au compte de qui ces terres perdues par les inondations sont-elles  recensées ?’
Il faut savoir à ce niveau qu'il y avait une liste de personnes qui avaient de relations directes ou indirectes avec le régime marocain et qui ont été bénéficiares, alors que, légalement, elles ne possédaient aucun bien dans la région. Il faut aussi savoir que des paysans pauvres sont spoliés de leurs biens sans obtenir aucun remboursement et que certains attendent toujours l'exécution des décisions du tribunal administratif d'Agadir. Je suis parmi ceux qui attendent l'ouverture de dossiers de violations graves des droits économiques. »

Hassan aborde ensuite la lutte des paysans pour conserver ce qui leur restait de terres bours (terme amazigh désignant les terres irriguées uniquement par les pluies), et la situation du nouveau village.

« Cette question est apparue après l'évacuation pour cause de barrage, qui a été suivie par un faible remboursement, trois fois rien. Nous avions un bour très important à un kilomètre du barrage, c’était le seul espace qui restait pour s'installer au début des années 1990. On a recommencé à zéro, il fallait bâtir une maison qui n'est plus comme celle qu'on avait perdu au barrage, il fallait creuser un puits pour avoir l'eau pour la construction de la maison, l'eau potable et l'irrigation du potager à côté de la maison. Nous avons du alors affronter les agent des Eaux et Forêts qui venaient planter des eucalyptus, pour bien obliger les paysans pauvres à quitter le lieu. C’était un vrai combat contre les responsables des Eaux et Forêts, qui voulaient limiter notre territoire et massacrer notre forêt d'arganiers. À chaque fois qu'ils plantaient des eucalyptus, je venais les couper et détruire les bornages qu'ils avaient tracés. Tout cela était un combat solitaire, nous étions dépourvus d'organisation, dans un monde de paysans pauvres déracinés de leur terre natale, dans la torture des années noires. Enfin, on a posé la première pierre d'un nouvelle commune qui a été baptisée appelée Tisrass (mot amazigh signifie les positions). Alors s’est ouverte une nouvelle page de lutte, cette fois-ci contre le président de la nouvelle commune, fils d’un comprador et agent des autorités coloniales. Après ma rencontre avec le camarade Amal Lahoucine en 1995, j’ai pris la voie du militantisme : nous avons déposé notre dossier auprès de l'AMDH (Association marocaine des droits de l’homme) à Taroudant, puis nous avons constitué l'association Ifghelen en 1997 et le syndicat des paysans en 2001. »

La constitution de l'association Ifghelen

« Après nous être installés dans notre nouvelle Tasdermte et avoir déposé notre dossier au bureau de l'AMDH à Taroudant, deux choses restaient à régler. La première était de s'organiser dans une association paysanne. Une assemblée d'un nombre limité de paysans pauvres, qui avaient une expérience de lutte pour leurs droits, a été organisée dans la maison de Lhaj Mohamed en avril 1997 sous la présidence du camarade Amal Lahoucine. Nous avions lutté au niveau local et national, envoyé des lettres de protestation au gouverneur de Taroudant et aux ministres de l'Intérieur et de l'Équipement, des lettres de demande de soutien aux partis politiques et députés de la province et enfin nous avions déposé un recours judiciaire au tribunal administratif à Agadir.

Une association paysanne était donc constituée le 27 avril 1997, sur la suggestion des militants de l'AMDH (Association marocaine des droits de l’homme) à Taroudant. Les autorités à Aoulouz ont refusé de la reconnaître et nous donner le reçu de dépôt du dossier. À l'époque, créer une association de paysans pauvres dans la zone du barrage d’Aoulouz n'était pas possible. La politique des barrages était une chose sacrée sous Hassan II, ce qui explique l'impossibilité de l'intervention des partis politiques parlementaires dans ce dossier. Nous avons donc engagé une autre lutte pour le droit de nous organiser après avoir déposé le dossier de l'association auprès du procureur de Taroudant. Le reçu de dépôt du tribunal permis de gérer les affaires administratives internes sans avoir la possibilité d'organiser des activités publiques. Cette situation a duré trois ans ; en mars 2000 nous avons enfin eu le reçu de dépôt du dossier de l'association des autorités d’Aoulouz.
Notre première activité publique a eu lieu en avril 2000 : nous avons organisé une rencontre du militant marxiste marocain Abraham Serfaty avec la société civile d'Aoulouz sur le thème « militantisme est développement des paysans pauvres à Taroudant ».

Au cours de cette rencontre, quatre points de repère pour le militantisme dans le Souss ont été donnés par le camarade Abraham. Le premier était la lutte pour le droit à la terre, contre la violation des terres collectives des paysans pauvres par les grands propriétaires. Le deuxième était la lutte pour le droit à l'eau, contre le massacre de la nappe phréatique au Souss par le surpompage dans les domaines des grands propriétaires. Le troisième était la protection de l'arganier, mis en en danger par l'implantation des agrumes dans le Souss. Le quatrième était le développement de la culture et de la langue amazigh, marginalisées par le régime marocain. Pour cela, le militant Abraham proposait de travailler sur deux fronts pour bien s'organiser, le premier était l'association Ifghelen et le deuxième devait être un syndicat des paysans.
Après cette rencontre, l'association a continué la lutte pour le droit des paysans pauvres d'Ouzioua à leurs biens. Le premier travail concernait les dossiers déposés au tribunal administratif d’Agadir, pour l'exécution de ses décisions qui a traîné trois ans ; en 2004, les indemnisations ont commencé à être versées. Malgré le montant très faible de ces indemnités, beaucoup de dossiers sont encore en souffrance. Parmi ces dossiers, celui de notre maison, sur lequel le tribunal n’a toujours pas pris de décision à ce jour. Je ne comprends pas pourquoi le pouvoir marocain parle de démocratie et droits de l'homme, alors qu’il n’a pas le courage de régler les problèmes des paysans pauvres d'Ouzioua ? »

La constitution du syndicat des paysans

« Il fallait accélérer la lutte, à chaque période qui passait les problèmes se multipliaient et la création d'un syndicat paysan devenait nécessaire. Nous avons déclenché une nouvelle lutte pour le reste des terres des paysans des sept douars évacués à cause du barrage. En 2001, le président de la commune de Tisrass avait essayé d'occuper 121 hectares de terres de paysans pauvres, en falsifiant des documents avec l'aide des autorités et des Eaux et Forêts de Taroudant. Nous avons détecté le problème et quand les responsables du Cadastre de Taroudant ont essayé de borner ces terres, ils ont été arrêtés par les paysans pauvres. Il y a eu une alerte générale : une assemblé a été organisée à la salle communale d'Aoulouz avec l'appui des militants de la Voie démocratique de Taroudant. À la fin de la réunion, le bureau syndical des paysans était constitué, son premier dossier était l'organisation de la lutte contre le président de la commune de Tisrass. Une plainte était déposée chez le procureur et le chef du Cadastre à Taroudant pour arrêter le bornage de ces terres. »

Pourquoi le président de la commune avait-il décidé d'occuper ces terres ?

 « C'est très simple : le régime marocain était convaincu que, devant notre lutte pour le reste de nos terres, il n'avait que ce moyen pour mobiliser ses alliés afin de réaliser le reste de son programme d'évacuation. L’idée générale derrière cette affaire était d'ouvrir la voie à une occupation de ces terres par les grands propriétaires qui avaient des visées sur les vastes forêts d'Ouzioua. Un ex-responsable à la Province de Taroudant , responsable de toutes les violations graves des droits des paysans au barrage d’Aoulouz, a ainsi occupé 20 hectares près du barrage de la même façon : en falsifiant des documents sur lesquels il a mis le nom de son fils. Aujourd'hui, il lance un avis de vente pour trouver un acheteur pour cette terre, qui se trouve à côté de la ferme du président (=maire) de la commune de Tisrass.
Le 26 janvier 2003 le syndicat, l'association Ifghelen et association ATTAC de Taroudant avaient organisé un sit-in devant le siège de la commune de Tisrass. Les paysans pauvres étaient bien organisés. Aux élections de 2003, les paysans pauvres ils mis en échec Monsieur le Président en choisissant une équipe constituée de certains membres actifs de l'association et du syndicat. M. le président a été mis hors jeu. Mais il n’a pas arrêté ses manœuvres pour autant  cette année, : il vient de sortir un autre document falsifié pour essayer d'occupé le village tout entier. Cet homme a passé ses deux mandats à la tête de la commune à falsifier des documents. Son rôle dans le conseil communal est de compléter la mission du régime marocain, qui vise l'exploitation exclusive sans limites des ressources naturelles du Souss. Pour cela, après la construction du barrage d’Aoulouz et l'évacuation des paysans pauvres de sept douars, le régime avait divisé la commune d’Ouzioua et créé celle de Tisrass, pour diviser encore plus la communauté d'Ouzioua, pour ouvrir encore une nouvelle page de souffrance des paysans pauvres autour du barrage Mokhtar Soussi. »

Reportage sur le sit-in du 14 novembre à Ouzioua

par Amal Lahoucine, 14 novembre 2006



Le sit-in organisé le mardi 14 novembre à Ouzioua pour la défense des biens publics et des droits fondamentaux des paysans pauvres s’est bien passé, malgré l'intervention du Caïd (chef des autorités locales) d'Aoulouz, qui voulait empêcher les paysans pauvres de participer au sit-in. Les militants sont alors intervenus et ont obligé le Caïd à quitter les lieux (photo no 8) pour aller se replier auprès du Pacha d'Ouled Berhil au siège de la commune. Après cela le sit-in a duré 2 heures. Les manifestants ont scandé leurs slogans de protestation :



-         l'électricité, la terre et l'eau sont des droits de l'homme.
-         aujourd'hui ou demain les droits sont obligatoires.
-         aujourd'hui ou demain le Tamazight (langue parlée par les Berbères) est obligatoire.
-         deux barrages sont construits, le développement est négligé.
-         deux barrages sont construits, les indemnisations sont volées.
-         30 ans au conseil communal, Ouzioua est marginalisé.
-         aujourd'hui ou demain, les comptes seront réglés.


A la fin du sit-in, trois discours ont été faits :

- le premier était celui du secrétaire général du Syndicat des paysans (photos 5 et 7).
- le deuxième était celui du représentant des paysans pauvres du douar Idergane.
- le troisième était celui du représentant du Front de défense des biens publics et des droits fondamentaux.      

Une réunion des représentants de la société civile a été organisée au siège du syndicat. Après avoir discuté cet événement à tous les niveaux, tout le monde s’est donné rendez-vous pour la prochaine mobilisation, l'audience du 7 décembre où seront jugés les cinq militants inculpés pour la marche rouge du 7 mai dernier.


Les associations suivantes organisaient le sit-in de protestation devant le siège de la commune d'Ouzioua : 
Syndicat des paysans, Association Ifghelen, Association Atlas, Association Taghtate, Association Assoul, Association Moukhtar Soussi, Association Ibrguenaten, Association Tabiat, Association Asgoun.
Elles étaient soutenues par le Front de défense des biens publics et des droits fondamentaux à Taroudant, constitué par : Parti de l'avant garde démocratique et socialiste, Mouvement de la voie démocratique, Parti du congrès de l'union, Parti progressiste et socialiste, Association marocaine des droits humains, Union marocaine du travail, Conféderation démocratique du travail.


La lutte des ouvriers et ouvrières d’ Oueled Teima (Maroc)
Par Amal Lahoucine, 17 novembre 2006

Il y a dans la province de Taroudant, d'après le délégué de l'inspection du travail, plus de 750 domaines d’une superficie variant de 10 à 500 hectares, qui emploient de 15 à 17 000 ouvriers agricoles selon les saisons. Tous ces ouvriers agricoles sont des paysans qui ont été contraints de vendre leurs terres suite à la construction des barrages qui, au lieu de leur apporter de l’eau et du bien-être, n’ont fait que provoquer leur malheur et leur ruine. L’objectif de ces barrages était bien celui-là : accélérer le passage à une agriculture capitaliste intensive destinée à l’exportation de primeurs et agrumes vers les marchés extérieurs, en premier lieu européen.

Il y a 13 stations d’emballage (l’essentiel de la production est exporté) employant entre 3500 et 4000 ouvrières et ouvriers. 90 % sont des femmes qui travaillent dans des conditions d’exploitation proches de l’esclavage :

- journées de 10 à 12 heures.
- salaire de 4 Euro par jour.
- pas de carte de travail.
- pas d’inscription dans la CNSS.
- pas d’indemnités familiale.
- pas d'indemnisations de congés ou de jours fériés.
- pas de mutuelle.

Les femmes qui travaillent comme ouvrières agricoles ou agro-industrielles sont des paysannes et des femmes des quartiers populaires de Marrakech, Safi, Essaouira, Casablanca et Ourzazate. 

La région d'Oueled Teima est parmi les premiers lieux d'exploitation des terres collectives des paysans pauvres par les colons dans les années quarante du 20ème siècle. Plus de 50 % des domaines sont aux mains de la nomenklatura (domaines royaux, de ministres, de députés, de compradores, d’officiers supérieurs de l’armée, et de leurs femmes et enfants). 

Les ouvrières et ouvriers agricoles luttent pour:

-  les libertés syndicales.
- avoir la carte de travail.
- avoir des bulletins de paye
- des congés annuels.
- la titularisation.
- la réintégration des ouvriers suspendus. 

Dans un domaine qui s'appelle Laglieta ( « eau stagnante » en arabe) et qui appartient à un haut officier retraité, 5 ouvriers ont été licenciés le 6 juin 2006. Le bureau syndical de la Fédération nationale du secteur agricole (UMT) avait demandé au Bureau social et économique de la province une réunion de la Commission provinciale ( constituée par les représentants de la province, de la délégation du travail, du patronat et des syndicats. Le patron a refusé de se présenter devant cette commission, qui s’est réunie le 13 juin et le 6 juillet 2006 en son absence.
Le 18 juillet 2006 le patron a licencié dix autres ouvriers , dont les membres du bureau syndical. Les ouvriers sont alors entrés en lutte :

- sit-in continu près de la route principale n° 10 entre Agadir et Oueled Teima à partir du 27 juillet 2006.
- sit-in de deux heures devant la ferme.
- grève de la faim de 48 heures.
- marche solidaire des ouvriers de plusieurs sociétés à Oueled Teima le 3 août 2006.
- sit-in de deux heures le 10 août 2006.
- marche des ouvriers de diverses sociétés à Oueled Teima le 17 août 2006.

5 ouvriers syndicalistes sont inculpés. L’audience du tribunal de première instance du 13 novembre 2006 est reportée au 17 novembre 2006.

- grève de faim de 24 heures le 24 août 2006.

Le 17 septembre 2006 l'ex-gouverneur rend  visite aux  ouvriers sur le lieu du sit-in et leur adresse des paroles provocantes et agressives.
Le 23 septembre 2006 à 6 du matin, les forces de répression agressent le sit-in, chassent les manifestants et brûlent leurs affaires.

 - grève générale le 21 septembre 2006.

 Pour soutenir les ouvriers licenciés, un marche de soutien était organisée par les ouvriers des autres sociétés le 7 octobre 2006 du lieu de sit-in au centre de la propriété, et un nouveau sit-in permanent est déclenché.
Quatre ouvriers sont inculpés et l’audience de tribunal du  26 octobre 2006 est reportée au 7 décembre 2006.

Quatre autres ouvriers sont poursuivis le 2 novembre 2006.
Parmi les 8 ouvriers poursuivis, certains ont deux ou trois dossiers judiciaires en cours.

Sources :

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