L’arganier couvre des centaines de milliers d’hectares au Maroc. Il
est en train de disparaître au profit des cultures de primeurs et d’agrumes
pour l’exportation. Les paysans du Souss Massa Drâa, tout aussi menacés que
l’arganier, se battent pour leur survie. Lisez ce dossier pour en savoir
plus !
À lire
- Sit-in le 14 novembre à Ouzioua
- La lutte des paysans pauvres d'Ouzioua au
Maroc pour le droit aux biens publics, par Amal Lahoucine, Taroudant,
novembre 2006
- « Je suis prêt à militer
jusqu'à la mort pour les biens publics » : Entretien avec le paysan pauvre militant
Hassan Id Abdallah (village de Tasdermte, province de Taroudant, région du
Souss Massa Drâa, Maroc) - Propos
recueillis par Amal Lahoucine, novembre 2006
- Reportage sur le sit-in
du 14 novembre à Ouzioua
par Amal Lahoucine, 14 novembre 2006 - La lutte des ouvriers et ouvrières agricoles et agro-industriels d’ Ouled Teima par Amal Lahoucine, 17 novembre 2006
Sit-in le 14
novembre à Ouzioua
Sit-in le 14 novembre à Ouzioua
La société civile
d'Ouzioua organise un sit-in mardi 14 novembre 2006 de 10 h à 12 h devant le
siège de la commune d'Ouzioua. Cette manifestation a pour but de protester
contre la poursuite des cinq militants des associations de paysans pauvres
devant leTribunal de première instance de Taroudant le. Fixée au 28 septembre 2006, l 'audience a été reportée
successivement au 2 novembre 2006 puis au 7 décembre 2006. Les militants sont
poursuivis pour leur participation à la marche rouge des paysans pauvres
organisée par la société civile d'Ouzioua le 7 mai 2006, pour défendre les
biens publics autour du barrage Moukhtar Soussi.
À ce jour, les autorités n'ont toujours pas engagé de discussions responsables avec les associations pour resoudre le problème de l'électrification, de l'eau potable, de l'eau d'irrigation et des indemnisations pour les terres perdues.
Pour cela les associations suivantes organisent un sit-in de protestation ce matin devant le siège de la commune d'Ouzioua :
Syndicat des paysans, Association Ifghelen, Association Atlas, Association Taghtate, Association Assoul, Association Moukhtar Soussi, Association Ibrguenaten, Association Tabiat, Association Asgoun.
Elles sont soutenues par le Front de défense des biens publics et des droits fondamentaux à Taroudant, constitué par : Parti de l'avant garde démocratique et socialiste, Mouvement de la voie démocratique, Parti du congrès de l'union, Parti progressiste et socialiste, Association marocaine des droits humains, Union marocaine du travail, Conféderation démocratique du travail.
À ce jour, les autorités n'ont toujours pas engagé de discussions responsables avec les associations pour resoudre le problème de l'électrification, de l'eau potable, de l'eau d'irrigation et des indemnisations pour les terres perdues.
Pour cela les associations suivantes organisent un sit-in de protestation ce matin devant le siège de la commune d'Ouzioua :
Syndicat des paysans, Association Ifghelen, Association Atlas, Association Taghtate, Association Assoul, Association Moukhtar Soussi, Association Ibrguenaten, Association Tabiat, Association Asgoun.
Elles sont soutenues par le Front de défense des biens publics et des droits fondamentaux à Taroudant, constitué par : Parti de l'avant garde démocratique et socialiste, Mouvement de la voie démocratique, Parti du congrès de l'union, Parti progressiste et socialiste, Association marocaine des droits humains, Union marocaine du travail, Conféderation démocratique du travail.
La lutte des
paysans pauvres d'Ouzioua au Maroc pour le droit aux biens publics
Par
Amal Lahoucine, Taroudant, novembre 2006
La marche rouge du 7 mai 2006 des paysans pauvres d’Ouzioua pour
leurs droits à l’électrification,à l’eau
potable, à l’eau d’irrigation et à l’exploitation des ressources naturelles
autour du barrage Mokhtar Soussi a été suivie d’une répression judiciaire.
Comme son habitude,
le régime marocain poursuit les militants de la société civile d' Ouzioua
devant le tribunal de première instance à Taroudant. La première audience du 28
septembre 2006 a été reportée une première fois au 2 novembre 2006
puis une deuxième fois au 7 décembre 2006.
Les cinq militants poursuivis sont :
Aakik Driss, secrétaire général du syndicat des
paysans pauvres.
Amal Lahoucine, président de l’association Ifghelen.
Chkib Boubker, vice président de l’association Atlas.
Bouichou Mohamed, membre du conseil de la commune d’Ouzioua.
Id bouichou Mohamed, paysan pauvre membre de l’association Atlas.
Amal Lahoucine, président de l’association Ifghelen.
Chkib Boubker, vice président de l’association Atlas.
Bouichou Mohamed, membre du conseil de la commune d’Ouzioua.
Id bouichou Mohamed, paysan pauvre membre de l’association Atlas.
Les paysans pauvres continuent leur lutte.
Voici l’arrière-fond de cette lutte.
1- Vue générale sur la vallée du Souss
La rivière Souss constitue le cœur battant de la
vallée située entre le Haut-Atlas et l’anti-Atlas au sud du Maroc. La rivière
est d’une superficie de 3960 Km2.
La province de Taroudant (Aoulouz, Ouled Berhil et
Taroudant) occupe 740 000
hectares . Les ressources forestières occupent 580 000 ha , et 200 000 ha de la superficie
générale disponible à l’agriculture dont 100 000 ha irrigués par pompage.
La nappe phréatique est d’une valeur de 50 milliards
de mètres cubes dont 8 milliards mètres cubes disponibles à l’exploitation par
pompage.
Une démographie très importante de 90 personnes par
km2 et 60 personnes par km2 à la campagne (la province de Taroudant compte
800 000 habitants).
Les ressources qu’offre l’environnement de la vallée
du Souss donnent une idée pour le développement agricole de cette rivière. Mais
le système d’irrigation par pompage d’une agriculture des agrumes basée sur
l’exportation vers l’Europe depuis les années quarante du vingtième siècle et
l’accélération de ce système vers un surpompage pendant les années soixante,
provoquent les déséquilibres sociaux au niveau de l’exploitation des ressources
naturelles de la vallée.
Le tableau suivant montre l’évolution de la culture
d’agrumes dans la vallée :
Année
|
1940
|
1950
|
1955
|
1960
|
1976
|
Agrumes en hectare
|
100
|
2200
|
5300
|
10600
|
19000
|
Aujourd’hui, les agrumes occupent 12 000 hectares dans la région Ouled Behgil-Aoulouz seulement depuis l'an 2000.
2- Nécessité de la protection de la forêt
d’arganiers
L’arganier a de multiples utilisations qui sont
autant de sources de revenu :
l’alimentation du cheptel
(bovins, caprins et camelins), le bois utilisé en menuiserie, en cuisine
traditionnelle (fours) et en chauffages et l’huile, à double usage, alimentaire
et cosmétique.
La fabrication de l’huile est réalisée par les
femmes, entièrement manuellement, depuis la collecte, le concassage des fruits,
le grillage et le broyage des amandes jusqu’au malaxage de la pâte dans un
moulin en pierre.
La fabrication d’un litre d’huile
par une femme demande au moins 16 heures, ce qui montre l’exploitation de la
femme paysanne pour un revenu de 50 dirhams.
Les forêts d’arganier couvrent 400 000 ha dans la région de Taroudant, soit 56 %
de l’arganeraie nationale. Elles occupent 74 % de la
superficie forestière totale de la province
Taroudant produit 1830 tonnes
d’huile d’argane par an, soit 53% de la production nationale.
Le revenu brut procuré par
l’arganier est de 1,8 milliards de dh/an, soit 430 dh/ha/an, correspondant à
plus de 2,2 millions de journées de travail.
Le classement de l’arganeraie en
« réserve de la biosphère », la réorganisation de la recherche sur
l’arganeraie et ses produits et l’utilisation des moyens modernes peuvent faire
de l’arganeraie l’axe essentiel du développement à Taroudant.
La destruction de la forêt
d’arganiers dans la plaine du Souss par l’implantation des agrumes et le
surpompage d’une part et la malproduction de ses ressources par les paysans
dans la montagne d’autre part provoque la dégradation du développement de la
vallée.
(Lire à ce
sujet
·
L'arganeraie marocaine se
meurt : problématique et bio-indication
par Michel R. Tarrier et Mohamed Benzyane http://www.secheresse.info/article.php3?id_article=228)
par Michel R. Tarrier et Mohamed Benzyane http://www.secheresse.info/article.php3?id_article=228)
3- La situation des paysans pauvres à Ouzioua
Les deux barrages Aoulouz (http://www.water.gov.ma/02patrimoine/fiches-barrages/020.htm)
et Mokhtar Soussi (http://www.water.gov.ma/02patrimoine/fiches-barrages/068.htm)
sont construits dans la région d’Aouzioua, dans l’ l’Est de la province de
Taroudant
Conséqeunces de la construction des barrages :
Les paysans pauvres vivent dans des conditions catastrophiques,
après avoir perdu leurs terres et leurs ressources naturelles contre des
indemnisations très faibles (trois dirhams seulement le mètre carré de terre
irriguée et deux dirhams le mètre de terre bour (uniquement arrosée par la
pluie) non-irriguée).
50% habitent dans la zone près du barrage, 10 douars de la commune
Tisrass au barrage Aoulouz et sept douars de la commune Ouzioua au barrage
Mokhtar Soussi, ils vivent dans les conditions très difficiles.
15% habitent dans la commune
d’Aoulouz.
35% ont quitté la région vers Ouled Berhil et Taroudant.
35% ont quitté la région vers Ouled Berhil et Taroudant.
4- Conséquences de cette situation
La construction de ces
deux barrages a eu des effets néfastes sur le développement de la région en
général, et en particulier sur la vie des paysans pauvres.
La politique agricole de l’État marocain dans la
vallée du Souss depuis les années quarante du vingtième siècle qui tend vers
l’accélération de l’exploitation de la nappe phréatique par le surpompage a
créé dans certaines régions (El Guerdain dans la région de Ouled Teima) une
situation catastrophique, ce qui explique la décision de l’État d’implanter
plus de 12 000 ha
d’agrumes dans la région d’Aoulouz et Ouled Berhil.
Les études faites par des spécialistes de PNUD et de
la FAO pendant
les années 1970 envisageaient le drame que vit la région d’Aoulouz aujourd’hui
et le rôle des deux barrages pour améliorer l’irrigation dans la vallée.
La vie des paysans dans la vallée du Souss et dans
les deux barrages en particulier est en dégradation.
L’exploitation qu’ils subissent dans les fermes
d’agrumes après la perte de leurs terres et leur transformation en ouvriers
agricoles dans des conditions juridiques dignes du Moyen âge.
La double exploitation de la femme au travail (bas
prix, sexe) et au sein de sa famille (travail sans salaire).
La couverture sanitaire reste faible, 15% couvre par
mode fixe, 43% couvre par l’itinérance, 42% par équipe mobile.
La dégradation de la santé de la population et donc
l’augmentation de la morbidité et mortalité materno-infantile.
En effet la prévention reste l’arme la plus efficace
pour améliorer l’état de la santé de la population rurale.
De jour en jour les paysans pauvres perdent la
terre, l’eau, et l’arganier, et leur culture amazight (berbère) va vers une
marginalisation absolue.
5- Problème de l’électrification et de l’eau potable
Malgré les ressources naturelles très importantes de la région
d'Ouzioua et les dons de l’Agence française du développement, 35 douars de la
commune d'Ouzioua sont dépourvus d’électricité et d’eau potable. L’État
marocain oblige trois douars qui ont perdu leurs terres à cause du barrage
Mokhtar Soussi de payer 4900 dirhams par maison pour être branchés au réseau
électrique national, sachant que la commune rurale avait payé un montant très
important en coopération avec le bureau national de l’électricité depuis 2001,
et que le ministère de l’Équipement avait déjà financé le branchement
électrique au barrage Mokhtar Soussi.
Les habitants de sept douars qui ont perdu leurs maisons
après la construction du barrage sont dépourvus d’électricité et d’eau potable
depuis 2001, cela malgré le financement du projet de réhabilitation des paysans
pauvres par l’État, qui a alloué un fond de 215 millions de centimes à
l'électrification et à l’approvisionnement en eau potable.
L’Agence de l'eau de Souss Massat n'hésite pas à piétiner le droit
naturel des paysans pauvres à l’eau d'irrigation provenant du barrage en
faisant stopper l'écoulement naturel de l'eau,
pour réserver l'eau aux fermes des grands propriétaires.
En 2003 les paysans pauvres ont perdu plus de 1200 oliviers à
cause de l'arrêt total de l'eau du barrage. L'Agence de l'eau de Souss Massat
est intervenue pour mettre en place des « associations de
l'eau » contrôlées par le président de la commune, pour accepter un
débit de 100 litres par
seconde, ce qui va encore multiplier les dégâts dans les champs des paysans
pauvres.
6 - Intervention des paysans pauvres
Pour défendre leurs droits, les paysans pauvres ont constitué des
associations de développement. Ils ont contacté tous les responsables locaux,
régionaux et nationaux sans recevoir aucune réponse positive à leurs problèmes.
Le 7 mai 2006, la société civile à Ouzioua avait organisé une
marche pacifique du barrage au siège de la commune rurale. Le régime marocain,
pour sa part, au lieu d’ouvrir des négociations avec les responsables des
associations et de sanctionner les vrais responsables de ces problèmes, décide
de poursuivre 5 responsables de ces associations devant le tribunal de première
instance de Taroudant.
Les paysans pauvres ont contacté les responsables nationaux des
partis politiques de la gauche, la
CDT , l'UMT et l'AMDH ; une commission a déposé le
dossier sur les problèmes des paysans pauvres d'Ouzioua auprès de ces
organisations. En attendant une réponse à leur demande de soutien, une
rencontre entre cette commission et le Front de défense des biens publics et
des droits fondamentaux à Taroudant, constitué par Annahj addimocrati, PADS,
PCU, PPS, AMDH, UMT et CDT, a été organisée après l'audience du 2 novembre 2006
au siège de la CDT. Le
but de cette rencontre est de soutenir le sit-in des paysans pauvres qui va
être organisé le 14 novembre 2006 et
tracer un programme de soutien aux luttes des paysans pauvres d'Ouzioua.
Notes
· Située au nord-ouest de la région du Souss Massa
Drâa, dans le sud du Maroc (chef-lieu : Agadir), la province de Taroudant
couvre 16 500 km2 et compte 800 000 habitants, vivant dans 7 communes
urbaines et 82 communes rurales.
· Voici comment
le Conseil régional du Souss Massa Drâa présente l’agriculture de la région
UNE PRODUCTION VITAMINÉE
Une des activités fondamentales de
la région est l’agriculture. Elle est souvent associée à l’élevage intensif ou
extensif en nomadisme. Toutes espèces confondues (camelins, bovins, caprins et
vins), la totalité des troupeaux est estimée à 2 605 400 têtes, sans oublier
les 4 millions de volailles.
L’agriculture génère un PIB de 4
milliards de dirhams
(12 % du PIB régional) et emploie 150 000
personnes (16 % des emplois). La superfi cie agricole utile approche les 561 000 hectares dont 190 000 hectares irrigués.
Le Souss Massa est la 1re zone
primeuriste du Maroc, maraîchage en tête avec 685 000 tonnes produites dont 95
% des exportations nationales de tomates. Vient ensuite l’agrumiculture, qui
couvre près de 30 000 hectares
et produit 666 000 tonnes, dont 50 % des exportations nationales d’oranges.
Quant aux vallées de Dadès et du
Drâa, elles pratiquent plutôt les cultures vivrières (céréales, fourrage), la
culture des arbres fruitiers (les 185 00
hectares de palmiers dattiers donnent 21 000 tonnes soit 63 % de
la production nationale) et les cultures spécialisées comme le henné, le safran
et les rosiers de parfumerie.
DEVENIR L’UNE DES RÉGIONS LES PLUS DYNAMIQUES DU
MONDE DANS LE SECTEUR DE L’AGRICULTURE
À horizon 2015, imposer
la région comme un des centres agricoles les plus dynamiques au monde, en
commençant par gagner une place dans le trio de tête du marché européen. Il
faut pour cela se focaliser sur les cultures porteuses et diversifier les
activités vers le secondaire (industrie agroalimentaire) et le tertiaire
(agrotech).
Pour la partie extensive,
conduire 50 % des petits agriculteurs pratiquant une agriculture traditionnelle
vers des niches de croissance plus modernes et prometteuses.
Pour l’ensemble, veiller
au développement durable et à la pérennité de cette activité en rétablissant un
équilibre entre la consommation d’eau et les sources hydriques, renouvelables ou non.
Sans commentaires, n’est-ce
pas ?
« Je suis prêt à militer jusqu'à la mort pour les biens
publics » : Entretien avec le
paysan pauvre militant Hassan Id Abdallah (village de Tasdermte, province de
Taroudant, région du Souss Massa Drâa, Maroc)
Propos recueillis par Amal Lahoucine, novembre 2006
Hassan Id Abdallah est un paysan pauvre militant. Il
habitait au douar Tasdermte (mot amazigh signifiant Porte), situé à l’entrée de
la vallée d'Ouzioua. Il est parmi les fondateurs de l'association Ifghelen
(signifiant espace réservé aux troupeaux du village) constituée en 1997.
Ifghelen est aussi le nom de l’endroit où le barrage Aoulouz est construit.
Hassan est aussi membre fondateur du syndicat des paysans pauvres d'Aoulouz. Il
vit aujourd'hui dans le nouveau village,
Tisrass, créé après la destruction de Tasdermte, où il s’est installé avec sa
famille, après l'évacuation par le barrage. Dans son ancien village, la famille
Id Abdallah avait une belle maison située au pied d'une montagne dominant la
vallée d'Ouzioua. Aujourd'hui, seuls demeurent les souvenirs de cette ancienne
et belle Tasdermte.
Voici ce que
m’a déclaré Hassan.
Il nous parle
tout d’abord de sa maison dans l'ancienne Tasdermte.
« Je
suis prêt à militer jusqu'à la mort pour les biens publics d'Ouzioua malgré ma maladie
qui m'oblige à être hospitalisé à l'hôpital Mokhtar Soussi à Taroudant depuis
mercredi dernier.
Tasdermte,
mon village natal, fait désormais partie du passé passé, mais son souvenir ne
peut pas me quitter, je me rappelle tous les détails, comme si c’était
aujourd'hui. Notre belle maison au pied de la montagne, à la porte de la vallée
d'Ouzioua Tasdermte (qui signifié aussi, la place et le rôle social d'un homme
dans la société) au bord de la rivière d'Ouzioua, qui coule sans arrêt pendant
les quatre saisons. Notre nouvelle maison, dont les travaux se sont terminés en
1986, a une superficie de 360 mètres carrés , elle est construite en
pierres et béton, elle est constituée de deux étages et comprend 12 pièces avec
cuisine traditionnelle, toilettes et cour plus un espace pour nos
animaux. Le remboursement de tous ces biens plus 70 arbres fruitiers divers est
de 7777 Euro.
Au moment de
l'évacuation obligatoire, J'avais refusé de quitter notre maison sans ouvrir un
dossier juridique pour justifier de la valeur exacte d'un remboursement légal.
C’était la seule maison qui restait debout à Tasdermte face au bulldozer qui
avait tous détruit dans notre village. Les champs et récoltes avaient été rasés
par ce bulldozer, pour détruire les traces du vol commis au moment du
recensement des biens des paysans pauvres. J'avais envoyé des lettres de
protestation aux responsables locaux et nationaux en demandant une expertise de
nos biens. Un expert de la province était enfin arrivé, pour faire son travail.
Cela se passait dans les années de
plombe, c'était en 1988.
Mais rien n'a
été réglé. Tout le fruit de mes activités agricoles à Tasdermte et de
celles de mon frère, ouvrier émigré en France depuis les années soixante, a été
perdu, massacré pour bâtir le capitalisme. »
Puis Hassan
nous parle des inondations au moment du recensement des terres des paysans
évacués.
« La
deuxième chose qui reste choquante dans ma mémoire est le rasage des terres
près de la rivière par les inondations de 1987, avant le recensement de nos
champs. La rivière avait rasé une quantité importante des champs des paysans
pauvres, sans aucun secours de la part du régime marocain. Ce qui est important
à signaler ici, c’est que la carte topographique qui va être utilisée pour le
recensement des champs avait été déjà faite avant les inondations. La question
que posaient les paysans pauvres était : ‘au compte de qui ces terres perdues
par les inondations sont-elles recensées ?’
Il faut
savoir à ce niveau qu'il y avait une liste de personnes qui avaient de
relations directes ou indirectes avec le régime marocain et qui ont été
bénéficiares, alors que, légalement, elles ne possédaient aucun bien dans la
région. Il faut aussi savoir que des paysans pauvres sont spoliés de leurs
biens sans obtenir aucun remboursement et que certains attendent toujours
l'exécution des décisions du tribunal administratif d'Agadir. Je suis parmi
ceux qui attendent l'ouverture de dossiers de violations graves des droits
économiques. »
Hassan aborde
ensuite la lutte des paysans pour conserver ce qui leur restait de terres bours
(terme amazigh désignant les terres irriguées uniquement par les pluies), et la
situation du nouveau village.
« Cette
question est apparue après l'évacuation pour cause de barrage, qui a été suivie
par un faible remboursement, trois fois rien. Nous avions un bour très
important à un kilomètre du barrage, c’était le seul espace qui restait pour
s'installer au début des années 1990. On a recommencé à zéro, il fallait bâtir
une maison qui n'est plus comme celle qu'on avait perdu au barrage, il fallait
creuser un puits pour avoir l'eau pour la construction de la maison, l'eau
potable et l'irrigation du potager à côté de la maison. Nous avons du alors
affronter les agent des Eaux et Forêts qui venaient planter des eucalyptus,
pour bien obliger les paysans pauvres à quitter le lieu. C’était un vrai combat
contre les responsables des Eaux et Forêts, qui voulaient limiter notre
territoire et massacrer notre forêt d'arganiers. À chaque fois qu'ils plantaient
des eucalyptus, je venais les couper et détruire les bornages qu'ils avaient
tracés. Tout cela était un combat solitaire, nous étions dépourvus
d'organisation, dans un monde de paysans pauvres déracinés de leur terre
natale, dans la torture des années noires. Enfin, on a posé la première pierre
d'un nouvelle commune qui a été baptisée appelée Tisrass (mot amazigh signifie
les positions). Alors s’est ouverte une nouvelle page de lutte, cette fois-ci
contre le président de la nouvelle commune, fils d’un comprador et agent des
autorités coloniales. Après ma rencontre avec le camarade Amal Lahoucine en
1995, j’ai pris la voie du militantisme : nous avons déposé notre dossier
auprès de l'AMDH (Association marocaine des droits de l’homme) à Taroudant, puis
nous avons constitué l'association Ifghelen en 1997 et le syndicat des paysans
en 2001. »
La
constitution de l'association Ifghelen
« Après
nous être installés dans notre nouvelle Tasdermte et avoir déposé notre dossier
au bureau de l'AMDH à Taroudant, deux choses restaient à régler. La première
était de s'organiser dans une association paysanne. Une assemblée d'un nombre
limité de paysans pauvres, qui avaient une expérience de lutte pour leurs
droits, a été organisée dans la maison de Lhaj Mohamed en avril 1997 sous la
présidence du camarade Amal Lahoucine. Nous avions lutté au niveau local et
national, envoyé des lettres de protestation au gouverneur de Taroudant et aux
ministres de l'Intérieur et de l'Équipement, des lettres de demande de soutien
aux partis politiques et députés de la province et enfin nous avions déposé un
recours judiciaire au tribunal administratif à Agadir.
Une
association paysanne était donc constituée le 27 avril 1997, sur la suggestion
des militants de l'AMDH (Association marocaine des droits de l’homme) à
Taroudant. Les autorités à Aoulouz ont refusé de la reconnaître et nous donner
le reçu de dépôt du dossier. À l'époque, créer une association de paysans
pauvres dans la zone du barrage d’Aoulouz n'était pas possible. La politique
des barrages était une chose sacrée sous Hassan II, ce qui explique
l'impossibilité de l'intervention des partis politiques parlementaires dans ce
dossier. Nous avons donc engagé une autre lutte pour le droit de nous organiser
après avoir déposé le dossier de l'association auprès du procureur de
Taroudant. Le reçu de dépôt du tribunal permis de gérer les affaires
administratives internes sans avoir la possibilité d'organiser des activités
publiques. Cette situation a duré trois ans ; en mars 2000 nous avons
enfin eu le reçu de dépôt du dossier de l'association des autorités d’Aoulouz.
Notre
première activité publique a eu lieu en avril 2000 : nous avons organisé
une rencontre du militant marxiste marocain Abraham Serfaty avec la société
civile d'Aoulouz sur le thème « militantisme est développement des paysans
pauvres à Taroudant ».
Au cours de
cette rencontre, quatre points de repère pour le militantisme dans le Souss ont
été donnés par le camarade Abraham. Le premier était la lutte pour le droit à
la terre, contre la violation des terres collectives des paysans pauvres par
les grands propriétaires. Le deuxième était la lutte pour le droit à l'eau,
contre le massacre de la nappe phréatique au Souss par le surpompage dans les
domaines des grands propriétaires. Le troisième était la protection de
l'arganier, mis en en danger par l'implantation des agrumes dans le Souss. Le
quatrième était le développement de la culture et de la langue amazigh,
marginalisées par le régime marocain. Pour cela, le militant Abraham proposait
de travailler sur deux fronts pour bien s'organiser, le premier était
l'association Ifghelen et le deuxième devait être un syndicat des paysans.
Après cette
rencontre, l'association a continué la lutte pour le droit des paysans pauvres
d'Ouzioua à leurs biens. Le premier travail concernait les dossiers déposés au
tribunal administratif d’Agadir, pour l'exécution de ses décisions qui a traîné
trois ans ; en 2004, les indemnisations ont commencé à être versées.
Malgré le montant très faible de ces indemnités, beaucoup de dossiers sont
encore en souffrance. Parmi ces dossiers, celui de notre maison, sur lequel le
tribunal n’a toujours pas pris de décision à ce jour. Je ne comprends pas
pourquoi le pouvoir marocain parle de démocratie et droits de l'homme, alors
qu’il n’a pas le courage de régler les problèmes des paysans pauvres d'Ouzioua
? »
La
constitution du syndicat des paysans
« Il
fallait accélérer la lutte, à chaque période qui passait les problèmes se
multipliaient et la création d'un syndicat paysan devenait nécessaire. Nous
avons déclenché une nouvelle lutte pour le reste des terres des paysans des
sept douars évacués à cause du barrage. En 2001, le président de la commune de
Tisrass avait essayé d'occuper 121
hectares de terres de paysans pauvres, en falsifiant des documents
avec l'aide des autorités et des Eaux et Forêts de Taroudant. Nous avons
détecté le problème et quand les responsables du Cadastre de Taroudant ont
essayé de borner ces terres, ils ont été arrêtés par les paysans pauvres. Il y
a eu une alerte générale : une assemblé a été organisée à la salle
communale d'Aoulouz avec l'appui des militants de la Voie démocratique de
Taroudant. À la fin de la réunion, le bureau syndical des paysans était
constitué, son premier dossier était l'organisation de la lutte contre le
président de la commune de Tisrass. Une plainte était déposée chez le procureur
et le chef du Cadastre à Taroudant pour arrêter le bornage de ces
terres. »
Pourquoi le
président de la commune avait-il décidé d'occuper ces terres ?
« C'est
très simple : le régime marocain était convaincu que, devant notre lutte
pour le reste de nos terres, il n'avait que ce moyen pour mobiliser ses alliés
afin de réaliser le reste de son programme d'évacuation. L’idée générale
derrière cette affaire était d'ouvrir la voie à une occupation de ces terres
par les grands propriétaires qui avaient des visées sur les vastes forêts
d'Ouzioua. Un ex-responsable à la
Province de Taroudant , responsable de toutes les violations
graves des droits des paysans au barrage d’Aoulouz, a ainsi occupé 20 hectares près du barrage de la
même façon : en falsifiant des documents sur lesquels il a mis le nom de
son fils. Aujourd'hui, il lance un avis de vente pour trouver un acheteur pour
cette terre, qui se trouve à côté de la ferme du président (=maire) de la
commune de Tisrass.
Le 26 janvier
2003 le syndicat, l'association Ifghelen et association ATTAC de Taroudant
avaient organisé un sit-in devant le siège de la commune de Tisrass. Les
paysans pauvres étaient bien organisés. Aux élections de 2003, les paysans
pauvres ils mis en échec Monsieur le Président en choisissant une équipe
constituée de certains membres actifs de l'association et du syndicat. M. le
président a été mis hors jeu. Mais il n’a pas arrêté ses manœuvres pour
autant cette année, : il vient de sortir un autre document falsifié pour
essayer d'occupé le village tout entier. Cet homme a passé ses deux mandats à
la tête de la commune à falsifier des documents. Son rôle dans le conseil communal
est de compléter la mission du régime marocain, qui vise l'exploitation
exclusive sans limites des ressources naturelles du Souss. Pour cela, après la
construction du barrage d’Aoulouz et l'évacuation des paysans pauvres de sept
douars, le régime avait divisé la commune d’Ouzioua et créé celle de Tisrass,
pour diviser encore plus la communauté d'Ouzioua, pour ouvrir encore une
nouvelle page de souffrance des paysans pauvres autour du barrage Mokhtar
Soussi. »
par Amal Lahoucine, 14 novembre 2006
Le sit-in organisé le mardi 14 novembre à Ouzioua pour la défense des biens
publics et des droits fondamentaux des paysans pauvres s’est bien passé, malgré
l'intervention du Caïd (chef des autorités locales) d'Aoulouz, qui voulait
empêcher les paysans pauvres de participer au sit-in. Les militants sont alors
intervenus et ont obligé le Caïd à quitter les lieux (photo no 8) pour aller se
replier auprès du Pacha d'Ouled Berhil au siège de la commune. Après cela le
sit-in a duré 2 heures. Les manifestants ont scandé leurs slogans de
protestation :
- l'électricité, la terre et
l'eau sont des droits de l'homme.
- aujourd'hui ou demain les
droits sont obligatoires.
- aujourd'hui ou demain le
Tamazight (langue parlée par les Berbères) est obligatoire.
- deux barrages sont
construits, le développement est négligé.
- deux barrages sont
construits, les indemnisations sont volées.
- 30 ans au conseil communal,
Ouzioua est marginalisé.
- aujourd'hui ou demain, les
comptes seront réglés.
A la fin du sit-in, trois discours ont été faits :
- le premier était celui du secrétaire général du Syndicat des
paysans (photos 5 et 7).
- le deuxième était celui du représentant des paysans pauvres du
douar Idergane.
- le troisième était celui du représentant du Front de défense des
biens publics et des droits fondamentaux.
Une réunion des représentants de la société civile a été organisée
au siège du syndicat. Après avoir discuté cet événement à tous les niveaux,
tout le monde s’est donné rendez-vous pour la prochaine mobilisation,
l'audience du 7 décembre où seront jugés les cinq militants inculpés pour la
marche rouge du 7 mai dernier.
Voir le reportage photo sur: http://www.tlaxcala.es/pp.asp?reference=1545&lg=fr
Les associations
suivantes organisaient le sit-in de protestation devant le siège de la commune
d'Ouzioua :
Syndicat des paysans, Association Ifghelen, Association Atlas, Association
Taghtate, Association Assoul, Association Moukhtar Soussi, Association
Ibrguenaten, Association Tabiat, Association Asgoun.
Elles étaient soutenues par le Front de défense des biens publics et des droits
fondamentaux à Taroudant, constitué par : Parti de l'avant garde démocratique
et socialiste, Mouvement de la voie démocratique, Parti du congrès de l'union,
Parti progressiste et socialiste, Association marocaine des droits humains,
Union marocaine du travail, Conféderation démocratique du travail.
La lutte des ouvriers et ouvrières d’ Oueled
Teima (Maroc)
Par Amal Lahoucine,
17 novembre 2006
Il y
a dans la province de Taroudant, d'après le délégué de l'inspection du
travail, plus de 750 domaines d’une superficie variant de 10 à 500 hectares , qui
emploient de 15 à 17 000 ouvriers agricoles selon les saisons. Tous ces
ouvriers agricoles sont des paysans qui ont été contraints de vendre leurs
terres suite à la construction des barrages qui, au lieu de leur apporter de
l’eau et du bien-être, n’ont fait que provoquer leur malheur et leur ruine.
L’objectif de ces barrages était bien celui-là : accélérer le passage à
une agriculture capitaliste intensive destinée à l’exportation de primeurs et
agrumes vers les marchés extérieurs, en premier lieu européen.
Il y a 13
stations d’emballage (l’essentiel de la production est exporté) employant entre
3500 et 4000 ouvrières et ouvriers. 90 % sont des femmes qui travaillent
dans des conditions d’exploitation proches de l’esclavage :
- journées
de 10 à 12 heures.
- salaire de
4 Euro par jour.
- pas de
carte de travail.
- pas
d’inscription dans la CNSS.
- pas
d’indemnités familiale.
- pas
d'indemnisations de congés ou de jours fériés.
- pas de
mutuelle.
Les femmes
qui travaillent comme ouvrières agricoles ou agro-industrielles sont des paysannes
et des femmes des quartiers populaires de Marrakech, Safi, Essaouira,
Casablanca et Ourzazate.
La région d'Oueled Teima est parmi les premiers lieux d'exploitation des terres
collectives des paysans pauvres par les colons dans les années quarante du
20ème siècle. Plus de 50 % des domaines sont aux mains de la nomenklatura
(domaines royaux, de ministres, de députés, de compradores, d’officiers
supérieurs de l’armée, et de leurs femmes et enfants).
Les
ouvrières et ouvriers agricoles luttent pour:
- les libertés syndicales.
- avoir la
carte de travail.
- avoir des
bulletins de paye
- des congés
annuels.
- la
titularisation.
- la
réintégration des ouvriers suspendus.
Dans un domaine
qui s'appelle Laglieta ( « eau stagnante » en arabe) et qui
appartient à un haut officier retraité, 5 ouvriers ont été licenciés le 6
juin 2006. Le bureau syndical de la Fédération nationale du secteur agricole (UMT)
avait demandé au Bureau social et économique de la province une réunion de
la Commission
provinciale ( constituée par les représentants de la province, de la
délégation du travail, du patronat et des syndicats. Le patron a refusé de se
présenter devant cette commission, qui s’est réunie le 13 juin et le 6 juillet
2006 en son absence.
Le 18
juillet 2006 le patron a licencié dix autres ouvriers , dont les membres du
bureau syndical. Les ouvriers sont alors entrés en lutte :
- sit-in
continu près de la route principale n° 10 entre Agadir et Oueled Teima à partir
du 27 juillet 2006.
- sit-in de
deux heures devant la ferme.
- grève de
la faim de 48 heures.
- marche
solidaire des ouvriers de plusieurs sociétés à Oueled Teima le 3 août 2006.
- sit-in de
deux heures le 10 août 2006.
- marche des
ouvriers de diverses sociétés à Oueled Teima le 17 août 2006.
5 ouvriers
syndicalistes sont inculpés. L’audience du tribunal de première instance du 13
novembre 2006 est reportée au 17 novembre 2006.
- grève de
faim de 24 heures le 24 août 2006.
Le 17 septembre
2006 l 'ex-gouverneur
rend visite aux ouvriers sur le lieu du sit-in et leur adresse
des paroles provocantes et agressives.
Le 23
septembre 2006 à 6 du matin, les forces de répression agressent le sit-in,
chassent les manifestants et brûlent leurs affaires.
-
grève générale le 21 septembre 2006.
Pour
soutenir les ouvriers licenciés, un marche de soutien était organisée par les
ouvriers des autres sociétés le 7 octobre 2006 du lieu de sit-in au centre de
la propriété, et un nouveau sit-in permanent est déclenché.
Quatre
ouvriers sont inculpés et l’audience de tribunal du 26 octobre 2006 est reportée au 7 décembre
2006.
Quatre
autres ouvriers sont poursuivis le 2 novembre 2006.
Parmi les 8
ouvriers poursuivis, certains ont deux ou trois dossiers judiciaires en
cours.
Sources :
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