Le détenu politique Said Takrayout au moment de sa sortie de la prison de Zagora
Tamtatoucht, le village natal de Zaid U Hmad, un des héros de la résistance au djebel Baddou après la bataille de Bougafer à Saghrou au sud-est du Maroc, dernier front de la résistance contre le colonialisme en 1934. Ce village est aujourd’hui mis sous couvre-feu par le régime marocain pour permettre la réalisation du projet dit de «barrage touristique» de Toudgha, financé avec 40 millions d’euros de fonds publics. Ce projet, lancé par Aziz Akhannouch, chef et patron des terres et mers au Maroc, est destiné à enrichir ses amis spéculateurs fonciers par l’exploitation des terres collectives des tribus amazighs Ait Merghad, une population d’environ 50 000 habitants, et de la commune d’Ait Hani, à laquelle Tamtatoucht appartient, qui compte 18 000 habitant.
C’est une autre façon d’occuper les terres des paysans pauvres tout comme le projet dit de «port touristique» à Al Hoceima, les complexes immobiliers Marina à Agadir et d’autres à travers le Maroc. Le seul but de ces prédateurs est d’occuper les 20 millions d’hectares de terres collectives qui contiennent entre autres des mines d’or et d’argent. Ces terres sont arrachées à leurs vrais propriétaires, les paysans amazighs déjà appauvris par les lois coloniales françaises.
Depuis février 2017, début des travaux du ce projet, les paysans de Tamtatoucht, appauvris et marginalisés par la négligence de l'État depuis 62 ans, se sont mobilisés contre le projet. Ce projet menace aujourd’hui leur existence même, par l’offensive menée contre leurs terres et leurs ressources naturelles. Pour survivre, ils doivent mener une lutte dans l’esprit de Zaid U Hmad contre la Hogra (mépris).
Le 15 novembre 2017, 1000 paysans de Tamtatoucht, en majorité des femmes, ont conduit une marche vers le chantier du barrage, l’occupant et arrêtant les travaux. Les autorités de Tinghir ont refusé de négocier avec notre syndicat dont le gouverneur a insulté le secrétaire général, Zaid Takrayout, leader de la lutte contre le vol des biens publics à Tinghir et a lancé une série d’inculpations contre lui.
Le sit-in des paysans, organisé principalement par les femmes paysannes, a duré 57 jours.
Le 10 janvier 2018 à 6h du matin, 1000 hommes de forces de répressions ont occupé le lieu du sit-in, à 9h les paysans ont marché vers le barrage, et leur marche a été écrasée, 11 paysans dont une femme ont été arrêtés et déférés au tribunal de Ouarzazate.
Le 11 janvier 2018 le secrétaire général du syndicat Zaid Takrayout a été arrêté lui aussi et déféré au tribunal de Ouarzazate.
Le 5 février 2018 le tribunal de première instance a émis une lourde sentence :
- Une année ferme au secrétaire général du syndicat.
- Dix mois fermes à six paysans détenus.
- Cinq mois avec sursis à cinq autres paysans, dont une femme.
- Une amende de 2000 dirhams chacun.
Le 7 mars 2018 la cour d’appel de Ouarzazate a confirmé les sentences avec réduction de deux mois pour six prisonniers, 8 mois au lieu de 10 et une amende de 1000 au lieu de 2000 dirhams.
Voici la liste des prisonniers :
- Zaid Takrayout né en 1963, marié, trois enfants.
- Bassou Arhou né en 1978, marié, cinq enfants.
- Brahim Zâabit né en 1984, marié, un enfant.
- Bassou Mouhda né en 1984, marié, cinq enfants.
- Mohamed Allout né en 1993, célibataire.
- Rachid Abdi né en 1994, célibataire.
- Yassine Ghermin né en 1995, célibataire.
Leurs familles n’ont plus rien à manger !
Depuis les arrestations des leaders du Hirak du Rif toutes les manifestations sont écrasées et leurs leaders sont arrêtés et poursuivis. Une nouvelle ère de répression organisée par l'État s'est ouverte au Maroc comme suite de la guerre en Syrie. Une répression soutenue par les instances dirigeants de l’Union européenne, en particulier par la France, après la visite de monsieur Macron au Maroc en juin dernier pour soutenir le régime marocain, qui a appliqué et suivi dès lors la logique de la matraque contre les manifestants et ouvert les portes de ses prisons.
Une analyse de cette situation critique nous conduit à conclure que les membres de l’Union européenne, en particulier la France, soutiennent les spéculateurs immobiliers marocains contre les intérêts des paysans, avec leurs dons et crédits pour soutenir les politiques anti-démocratiques du régime marocain. Le peuple marocain est endetté à hauteur d’environ 68 milliards de dollars, tandis que des millions d’euros traversent la Méditerranée chaque jour sous forme de produits miniers, agricoles et halieutiques exportés, sans que les paysans en bénéficient. Aujourd’hui ils se retrouvent chassés définitivement de leurs terres, par une politique de véritable ségrégation, d’apartheid.
Cette situation critique permanente provoque une ébullition qui se manifeste chaque jour sur divers fronts d’action populaire, et fait des victimes et des prisonniers, en premier lieu chez les paysans.
Le dossier Brahim Saika, martyr de la lutte contre la mafia immobilière dans la région Guelmim Oued Noon, est toujours en tête de l’ordre du jour de notre lutte, Mey Aicha, sa mère, a défendu ce dossier depuis deux ans, en vain. Les spéculateurs immobiliers sahraouis ont tenté à plusieurs reprises de liquider l’affaire, mais Mey Aicha est une femme paysanne qui préfère mourir de faim plutôt que trahir le sang du martyr.
Nous vous demandons donc, Monsieur le Secrétaire général, de transmettre notre lettre aux parlementaires pour les informer d’une situation grave que leur silence ne ferait que cautionner. L’Union européenne, de par ses accords d’association avec le Maroc, est partie prenante dans le conflit entre le régime marocain et les paysans. Il nous semble donc urgent que le Parlement adopte une résolution exigeant du Conseil qu’il rappelle au gouvernement marocain ses engagements à respecter les droits de l’homme et les principes démocratiques, pris dans les accords d’association avec l’UE.
Agadir, le 17 mars 2018
Amal Lahoucine
Secrétaire général
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